Un supermarché participatif vu de l’intérieur


Judith Heidebreck, en stage à la Grande Epicerie Générale.

Découvrez les coulisses du premier supermarché participatif et coopératif de Lorraine avec Judith, étudiante à Sciences Po, qui livre ses impressions après son stage à la Grande Epicerie Générale à Nancy. Une étudiante qui a découvert les motivations des coopérateurs et on ne pousse pas la porte du magasin participatif par hasard.

Ayant grandi sur la ferme biologique de mes parents, je trouve que la consommation joue un grand rôle dans le changement climatique et dans la lutte contre le dérèglement climatique. Le transport d’aliments de pays lointains émet beaucoup de gaz à effet de serre et nous jetons trop d’aliments, autant qu’on pourrait en nourrir toute l’humanité.

« un contrepoids aux grandes surfaces,
un acte profondément politique »

A mon avis, tout ce que l’on fait est de la politique, qu’on le veuille ou non, et l’alimentation, facteur important dans nos vies, l’est encore plus. Tout ce qu’on achète est une décision politique et décider d’ouvrir un supermarché participatif, coopératif et collaboratif s’avère être un contrepoids aux grandes surfaces qui n’ont pas du tout les mêmes valeurs ; c’est un acte profondément politique.

« trois heures de son temps
toutes les quatre semaines »

Les membres de la «Grande Epicerie Générale Nancy» ont ouvert leur propre supermarché où seuls les coopérateurs peuvent acheter. Chacun détient des parts sociales de la coopérative et a donc tout le pouvoir décisionnel sur ce qui va être vendu mais aussi sur ce qui se passe dans le magasin. Les produits sont pour la plupart du bio, du local et du fairtrade et grâce au travail bénévole des coopérateurs, un panier peut être moins cher que dans des épiceries bio. Chaque coopérateur donne au minimum trois heures de son temps toutes les quatre semaines, pour tenir la caisse, peser le vrac ou pour accueillir des nouveaux adhérents. Beaucoup en donnent beaucoup plus, dans les différents groupes de travail, par exemple la comptabilité, la communication ou encore le zéro déchet.

Eco-responsable et local

Pendant mon stage,  j’ai adoré travailler avec ces marchand.e.s non professionnel.le.s, qui ne savent pas toujours tout mais qui « travaillent » bénévolement avec leur cœur. Les raisons pour lesquelles ils adhérent au projet sont très diverses : les uns veulent se nourrir d’une manière éco-responsable, les autres veulent soutenir les petits producteurs locaux et d’autres en ont assez du pouvoir des grandes surface. Souvent, c’est toutes ces raisons combinées et les adhérents ont une raison en commun : le côté social du projet, le fait de rencontrer d’autres gens motivés, de trouver de nouveaux amis ou d’introduire des anciens amis dans le projet pour créer une grande communauté. La solidarité et l’amitié se montre surtout pendant les réunions des groupes de travail auxquels j’ai assisté, qui ne sont pas des simples réunions pour travailler, mais des apéros conviviaux avec des gourmandises et jus de fruits ou bières achetées dans le magasin ou des tartes faites maison.

tutoriels pour les nouveaux coopérateurs

Pendant les ouvertures du magasin, les coopérateurs effectuent leurs créneaux, les uns toujours au même poste, les autres en tournant entre caisse, vrac et accueil. Les nouveaux sont introduits lentement, apprenant des anciens. Et de toute façon, personne n’a besoin d’avoir peur de faire des fautes car les clients eux-mêmes ont des compétences dans la tenue du magasin.

Il arrive souvent que le «client» coopérateur ait déjà rencontré une difficulté et donne un coup de main à ceux qui font leur créneau. Et il y a toujours tous les tutoriels que des coopérateurs ont créés pour que les moins initiés puissent vérifier comment remplir le meuble à vrac, fermer la caisse ou comment rembourser un coopérateur après une faute de caisse. Entre les différents encaissements, il y a toujours du temps pour parler environnement, boulot ou bien famille – on se connaît, c’est une petite communauté de 300 personnes vouée à s’agrandir.

« pas si simple avec autant de fournisseurs différents,
de producteurs locaux mais aussi de grossistes »

Durant un mois, j’ai pu voir les différents aspects du supermarché participatif. J’ai fait le « travail » que la plupart des adhérents effectuent une fois toutes les quatre semaines dans le magasin. J’étais derrière la caisse, au vrac et à l’accueil et j’ai vite appris les différentes fonctions. En rencontrant à chaque fois de nouvelles personnes que je ne connaissais pas et j’ai surtout aimé faire la connaissance d’adhérents de tous les âges car je connaissais surtout des gens de mon âge à Nancy.

Cette immersion m’a aussi permis de préparer les livraisons, ce qui n’est pas si simple avec autant de fournisseurs différents, de producteurs locaux mais aussi de grossistes. Et c’était intéressant d’être présente le jeudi pour savoir ce qui allait arriver le lendemain. Le vendredi c’était le jour des livraisons et c’était bien de voir les différents producteurs et aussi de découvrir en premier quels nouveaux produits avaient été commandés. Le meilleur moment du jour était toujours quand les étagères et caisses étaient remplies des légumes frais tout juste arrivés, donnant une jolie image colorée. Au milieu de la matinée, je commençais déjà à avoir faim grâce aux aromates qui sentaient si bon.

J’ai appris que ce n’est pas toujours facile de tenir un magasin seulement avec des bénévoles, des fois il arrive des problèmes avec certains distributeurs, des désaccords sur la continuité du projet, des tiraillements entre des coopérateurs ou des groupes de travail. Cela n’est pas que négatif, au contraire : le projet vit de la démocratie et de la pluralité des personnes très différentes avec de différentes visions pour ce concept de supermarché participatif et coopératif. La ferveur avec laquelle ils défendent leurs idées montre simplement que le projet leur tient à cœur.

« changer la manière de consommer
en créant des alternatives aux systèmes établis »

Cela devient évident à travers les heures que quelques coopérateurs investissent dans le projet : certains ne viennent pas une fois toutes les quatre semaines mais plusieurs fois par semaine. Le projet est devenu leur propre bébé, un peu comme un vrai travail et ils mettent beaucoup d’énergie dedans. Mais il ne leur appartient pas plus qu’à ceux qui ne disposent pas d’autant de temps mais qui le valorisent tout autant. La motivation et l’énergie que les coopérateurs mettent dans le projet reste l’un des aspects les plus inspirants à voir pour moi et je trouve qu’il nous faudrait beaucoup plus de projets comme la Grande Epicerie Générale, pour changer le monde et pour lutter contre le changement climatique qui nous menace tous.

Mon stage, effectué en juin 2019*, m’a montré que de nombreuses personnes sont prêtes à changer leur manière de consommer en créant des alternatives aux systèmes établis. Le changement commence par nous-même, avec de petites choses, mais il faut qu’il soit porté à l’extérieur aussi, pour convaincre d’autres personnes et pour finalement changer la politique. Pour cela, il semble important que l’on ne mène pas seulement une vie respectueuse de l’environnement mais qu’on aille aussi exiger une politique dans laquelle l’environnement est davantage pris en considération.

Comme j’ai aussi assisté aux groupes de travail et aux réunions pour les nouveaux adhérents, je pense que j’ai eu un bon aperçu de la dimension de la Grande Epicerie Générale et j’ai beaucoup appris durant ce mois de stage. Et pas seulement pour élever mon niveau de la langue française – je suis étudiante allemande à Nancy** – et découvrir et apprendre le noms de tous les légumes. Et j’ai rencontré tellement de monde que j’avais des difficultés de me souvenir des prénoms de tout le monde.

*Les coopérateurs de la Grande Epicerie Générale remercient Judith Heidebreck, 19 ans, étudiante en deuxième année à Sciences Po Paris à Nancy pour son implication et pour son regard neuf et original sur la coopérative, mais aussi pour ses stories sur Instagram !

**Nous étudions toute demande de stage ou d’implication pour des projets tutorés de l’Université de Lorraine ou toute souhait de service civique au sein de notre association.